Que peut faire un entrepreneur quand il voit disparaître la raison pour laquelle il entreprend, et que l’enthousiasme laisse place au doute et à la perte de sens ? Récit d’une aventure entrepreneuriale extrême et d’une résilience qui souligne le rôle du sens dans toute forme d’entrepreneuriat, commercial ou non.

Observateur boulimique, Jean-Paul Augereau est un ingénieur créatif qui se passionne pour tout ce qui passe sous son regard. Il ne peut s’empêcher de chercher des solutions concrètes aux besoins qu’il perçoit tout autour de lui, que ces solutions soient techniques ou non.

Après quelques années comme salarié, il trouve rapidement le moyen de devenir son propre patron et enchaîne les succès, les voyages et mène grand train jusqu’à l’accident. Il fait l’erreur, en Égypte, de se laver les dents avec l’eau du robinet et développe une septicémie qui endommage gravement sa valve aortique. Son salut physique passera par une greffe humaine. Mais pour le reste, tout s’écroule :

« Moi qui m’étais cru maître du monde, je ne savais plus qui j’étais. J’avais pris l’habitude de ne parler à personne : j’y voyais une perte de temps. Je tuais mon entourage mais personne n’osait me le dire puisque mes entreprises étaient florissantes. »

Il entre alors dans ce qu’il nomme un burn-out de plus de deux ans, mais qui ressemble surtout à une perte soudaine du sens de son action et de sa foi d’entreprendre. À la suite de cette épreuve traumatique, il se reconstruit de manière étonnante.

Une eau régénératrice

Puisqu’il était tombé malade à cause de l’eau et vivait grâce à un don d’organe, il se dit qu’il pourrait se donner pour but d’apporter de l’eau potable partout, notamment dans les pays démunis. Il cherche alors à inventer un système simple et robuste. Après plusieurs essais, il trouve la solution grâce à une fontaine filtrante fonctionnant sans électricité : les panneaux photovoltaïques qu’il utilisait dans une version précédente étaient vite recouverts de poussière, sinon volés. La fontaine est donc actionnée par une pompe manuelle qui aspire l’eau et la repousse à travers cinq filtres successifs allant de 150 à 5 microns, puis un filtre céramique de 0,02 micron bloquant bactéries et virus. Son débit de 1 000 litres à l’heure est 50 % plus élevé que celui d’un robinet. Lorsque le filtre est colmaté, il suffit de le nettoyer avec une brosse et du vinaigre blanc. Il doit être remplacé une fois par an et coûte 12 euros. Une fontaine installée sur place coûte 5 500 euros.

Le besoin est immense puisque deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable.

C’est là que ses gènes d’entrepreneur s’activent à nouveau. Pour financer l’installation des fontaines, il crée un fonds de dotation, Safe Water Cube, et une association humanitaire, Agir Ensemble. Il intéresse ses partenaires en proposant à leurs salariés de participer à l’installation de fontaines sur leurs jours de congé, le déplacement étant financé par l’entreprise. Il trouve aussi des financements auprès de collectivités territoriales, qui peuvent investir jusqu’à 1 % de leur budget dans des actions de solidarité internationale, ainsi qu’auprès d’agences de l’eau qui peuvent financer jusqu’à 70 % des projets. Il vise l’installation de 500 fontaines par an, ce qui représente un budget de 2,5 millions d’euros.

La source d’un développement durable

Mais l’argent ne suffit pas, encore faut-il que les habitants s’approprient le projet : en Afrique, 40 % des puits financés par des ONG sont hors d’usage par défaut d’entretien. C’est pourquoi Jean-Paul Augereau décide de créer les conditions d’un fonctionnement durable. Tout d’abord, il n’intervient qu’à la demande d’associations locales qui soumettent les besoins de villages bien identifiés. Deux ou trois habitants sont ensuite formés pour devenir responsables de la fontaine. Moyennant rétribution par les villageois (0,50 euro par mois par famille), qu’ils collectent eux-mêmes – ce qui en assure le paiement –, ils font fonctionner la pompe et nettoient les filtres. Les fontaines sont dotées d’un compteur, dont les relevés sont envoyés par SMS toutes les semaines à Jean-Paul Augereau, qui peut ainsi vérifier que tout va bien et qu’il n’y a pas de détournement d’usage.

Il impose aussi comme préalable l’interprétation par les enfants du village d’une petite pièce de théâtre qui montre sur un mode ludique l’importance de se laver les mains avec de l’eau propre et de boire une eau saine, et comment la fontaine est génératrice de lien social. Les petits relaient ces messages auprès des parents ; les familles sont ainsi informées de l’arrivée prochaine d’une fontaine et de son utilité.

Les fontaines sont un premier pas vers une action plus globale touchant à la santé, à l’éducation et au développement d’activités économiques locales. C’est ainsi que l’association Agir Ensemble s’est dotée d’un pôle santé : une infirmière et une pharmacienne interviennent dans les dispensaires des villages, forment leurs personnels et identifient leurs besoins en médicaments et en équipements financés par l’association. La santé des enfants étant un élément clé de leur scolarisation, des repas sont par ailleurs fournis aux élèves. À Madagascar, par exemple, les enfants ne mangeaient pas quotidiennement et, tous les jours, près d’une quarantaine sur 200 étaient malades. À présent, ils ne sont plus que trois à cinq malades par jour, le plus souvent atteints par la rougeole.

Ces cinq dernières années, 120 millions d’Africains ont migré des campagnes vers les villes, et il y a désormais autant de bidonvilles que de villes, avec les problèmes sanitaires et sociaux que cela soulève. En aidant les populations rurales à créer des microbusiness, l’association veut lutter contre l’exode rural. L’association intervient dans 20 pays, notamment en Afrique et en Asie. C’est un champ d’action immense pour une association de 62 membres, dont une trentaine de bénévoles actifs, et six salariés.

Un entrepreneur à mission ?

La recherche de sens n’est pas qu’une demande des employés, elle saisit aussi les entrepreneurs eux-mêmes : comment insuffler une direction, un avenir désirable sans rêve ou mission à poursuivre ?

Quand on demande à Jean-Paul Augereau ce qui l’anime, il répond :

«  J’ai réinvesti le fruit de la vente de mes entreprises précédentes dans l’association Agir Ensemble. Après avoir mené grand train, je vis aujourd’hui avec moins de 1 300 euros par mois, et je n’ai jamais été aussi heureux ! Ceux qui m’ont connu hier ne comprennent pas ce revirement. Pourtant, j’ai la chance de me lever tous les matins avec la conviction que j’éviterai à des enfants de tomber malades. La profondeur humaine de l’action que je mène me procure une satisfaction immense. »

Bien sûr, personne n’impose aux entrepreneurs d’être aussi radicaux dans leurs choix, mais il devient de plus en plus évident que la quête du profit, qui est la mission classique que l’on assigne à tout entrepreneur, ne semble plus pouvoir mobiliser ni les employés, ni les parties prenantes, ni même les entrepreneurs eux-mêmes. L’entrepreneuriat est en évolution profonde, qu’il s’exerce au sein d’entreprises classiques, de nouvelles entreprises à mission, d’entreprises sociales, d’associations, de territoires ou dans l’Administration… Ces organisations œuvrent d’ailleurs de plus en plus ensemble et articulent leurs compétences au bénéfice d’un bien commun de plus en plus souvent revendiqué.

Pour en savoir plus, voir Safe Water Cube, agir ensemble pour apporter partout de l’eau potable

Michel Berry et Christophe Deshayes, École de Paris du management

 


3 commentaires

Simon Vuillaume · 17 janvier 2020 à 7 h 48 min

Que de talents mis au service d’un projet généreux parfaitement pensé et exécuté ! Chapeau bas à Jean-Paul Augereau, grand irrigateur de milliers de jardins d’entrepreneurs à travers la planète !

    Jean-Paul Augereau · 22 janvier 2020 à 9 h 37 min

    Merci pour cet élogieux commentaire, l’envie et l’enthousiasme permettent souvent d’agir avec le cœur et ainsi trouver des chemins humains.

Jean-Paul Augereau · 22 janvier 2020 à 9 h 40 min

Merci pour cet élogieux commentaire, l’envie et l’enthousiasme permettent souvent d’agir avec le coeur et ainsi trouver des chemins humains.

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